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CADOT
à Paris

1880

   LE PIANO ET L'ÉGALISEUR AUTOMATIQUE CADOT

"Un piano est incontestablement un véritable miracle de mécanique dont la réalisation a exigé des siècles d'études et les efforts successifs de facteurs, non pas seulement ingénieux, mais doués du véritable génie de l'invention.

Cette assertion n'étonnera aucun de ceux qui ont étudié sérieusement les complications intérieures de l'instrument et qui se sont rendu compte du nombre incroyable de problèmes très-délicats dont sa construction suppose la solution.

Est-ce à dire que le piano tel qu'on le construit aujourd'hui ait réalisé la perfection ? Non certainement.

Un piano neuf, sortant des mains du facteur le plus consciencieux et le plus habile à atténuer les défauts naturels de l'instrument, accuse déjà des inégalités dans la résistance des touches à la pression du doigt, des retards dans le relèvement spontané de la touche, une durée appréciable du contact du marteau et de la corde après le choc, d'où résultent inévitablement :

Des inégalités et des incertitudes dans le jeu, l'altération des vibrations en amplitude et en durée, l'atténuation de la sonorité, etc., etc.

Ceci, disons-nous, se rencontre déjà dans un piano neuf sorti des mains du facteur le plus soigneux et le plus habile, mais s'accentue d'une manière étrange après quelque temps de service, de sorte que le meilleur des pianos ne tarde pas à devenir, par le seul usage, un vrai type d'irrégularité, offrant à l'exécutant une série de difficultés invincibles, et imposant d'incessantes réparations qui aboutissent à la perte définitive de l'instrument, pour peu que l'amateur ne veuille ou ne puisse se résigner à l'emploi d'un instrument définitivement impropre à traduire ses inspirations.

A tous ces inconvénients on peut assigner une même cause, qui réside dans le mode d'action de la touche sur la mécanique, et, par son intermédiaire, sur le marteau et sur la corde.

La touche est, en somme, un levier du premier genre, disposé de façon que la puissance, représentée alternativement par l'action du doigt et par la réaction de la mécanique, agit, dans le premier cas, sur le grand bras, eL, dans le second, sur le petit bras du levier.

Nous n'avons rien à dire du doigt, dont l'artiste est appelé à régler lui-même l'effort suivant le besoin de l'exécution; mais comment compter sur la mécanique, appareil si compliqué, si délicat, si fantasque, si facile à détraquer, pour assurer un peu de régularité à la réaction, c'est-à-dire au relèvement de la touche ?

Nous ne ferons pas ici l'histoire des combinaisons imaginées pour résoudre ce problème insoluble, et nous nous contenterons de féliciter M. Cadot d'avoir cherché la solution dans une autre voie et de l'avoir trouvée.

Après une étude attentive de la difficulté, M. Cadot a reconnu qu'il n'existait qu'un seul moyen de la résoudre :

Rendre la réaction indépendante de la mécanique, en faisant réagir, à l'arrière de la touche, un ressort spiral.

Dans ce but, MM. Cadot et Cie (53, rue de Richelieu) construisent des barres, dites égaliseurs automatiques, pouvant être adaptées en quelques minutes à tous les pianos et munies d'une rangée de ressorts d'acier dont chacun correspond à l'une des touches de l'instrument.

L'égaliseur que nous donnons ci-contre étant établi au-dessus de la partie postérieure des touches, chaque touche mise en mouvement comprime le ressort, et celui-ci, en se détendant, relève la touche instantanément, sans laisser au marteau le temps d'arrêter les vibrations de la corde.

Mais n'a-t-on pas à craindre, en forçant ainsi la touche à tendre un ressort supplémentaire, de lui donner de la dureté ?

Tous les pianistes savent que ce qu'il faut craindre avant tout, c'est la mollesse de la touche qui annule l'effet de la fermeté du doigté.

En tout cas, l'égaliseur est disposé de façon à ce qu'on puisse régler à volonté la tension et l'effort de détente du ressort, et l'égaliseur, convenablement réglé, se borne ainsi à donner à toutes les touches une résistance absolument identique et qui ne varie plus.

Les conséquences sont faciles à prévoir, mais étonnent toujours, cependant, lorsque, après avoir essayé le jeu d'un piano muni d'un égaliseur, on vient à supprimer subitement l'action de celui-ci.

On ne saurait croire, en ce cas, combien la sonorité de l'instrument parait tout à coup assourdie, combien les notes perdent de leur fermeté, de leur netteté, de leur profondeur, combien les répétitions de notes, si vives et si nettes quand on emploie l'égaliseur, deviennent difficiles, incertaines, pâteuses, quand l'action de l'égaliseur est supprimée.

Une autre conséquence forcée de l'emploi de cet appareil, c'est que l'immense majorité des réparations des pianos étant nécessitées par la paresse de la mécanique, elles deviennent inutiles lorsqu'à l'action de celle-ci on substitue celle de l'égaliseur, dont les caractères principaux sont la permanence et la régularité.

Conclusion : un piano tant soit peu vieux ne peut se passer de l'égaliseur pour réparer ses inégalités acquises; un piano neuf et d'une facture jugée irréprochable ne peut être privé de l'aide de l'égaliseur sans perdre la moitié de ses qualités, à cause de ses inégalités naturelles.

Ce n'est pas notre avis personnel que nous émettons ici, mais celui du jury de l'Exposition internationale de 1878, celui des professeurs du Conservatoire, de M. Marmontel, entre autres, et celui des facteurs de pianos les plus renommés et les plus distingués. STEVENS."
Le Panthéon de l'industrie : journal hebdomadaire illustré, 1880, p. 316 (gallica.bnf.fr)

Pour les références voyez
la page alphabétique C


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