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PLEYEL
à Paris (°1824)

SAX
à Paris (°1843)

CORRESPONDANCE
PLEYEL-FÉTIS-SAX

Revue et gazette musicale de Paris, Volume 18, 1851

27 avril 1851

DÉCOUVERTE D'UN NOUVEAU PRINCIPE PHYSIQUE POUR LE PERFECTIONNEMENT DES PIANOS, PAR M. SAX PÈRE.

"27 avril 1851 :

C'est une intéressante famille d'artistes que celle de ces hommes d'invention qui, dans une incessante activité d'esprit, ne se préoccupent que de découvertes et d'améliorations d'instruments, et souvent oublient le soin de leur fortune, considérant comme un bien-être suffisant pour eux ce que d'autres appeleraient le strict nécessaire.

Et ce qui ajoute encore à l'intérêt qu'inspire cette famille des Sax, c'est de la voir en butte d'un part à l'envie déployant toutes ses ruses pour rabaisser le mérite qui l'offusque; de l'autre, à la cupidité, qui, plus habile dans l'art de l'exploitation, s'empare effrontément du fruit des méditations de ces hommes d'élite, et trouve protection pour ses larcins.

Que d'efforts n'a pas coûté à chacun des membres de cette famille la nécessité de lutter contre la mauvaise fortune, sans perdre la sérénité d'esprit qui dirige leurs travaux ?

Mais rien ne les abat, et plus forts après les événements les plus désastreux et les moins attendus, ils se relèvent par la seule impulsion d'une âme vigoureuse et d'un intelligence supérieure.

Voyez le chef de cette famille, ce Sax père, à qui l'art est redevable de tant de découvertes, naître dans une obscure petite ville éloignée de tous les centres d'activité.

Sa condition est celle de l'ouvrier, mais son organisation est celle du génie. Dès ses premières années, la connaissance du dessin linéaire lui devient familière.

Entré dans un atelier de menuiserie, il y porte cette connaissance qui, réunie à son adresse manuelle, à son intelligence, à sa force physique, lui donne sur tous ses compagnons la supériorité du maître sur l'élève.

A peine sorti de l'enfance, sa réputation d'habileté s'est déjà répandue dans le pays, et le chef d'un grand établissement de construction de machines l'appelle dans ses ateliers.

Là, Sax s'instruit dans tous les genres de travaux relatifs à la mécanique; bientôt il ne lui reste plus rien à apprendre, et d'ouvrier il devient contre-maître.

La chute de l'empire entraîne celle de l'établissement où il travaillait ; il prend alors la résolution de se fixer à Bruxelles et de s'y livrer à la fabrication des instruments de musique.

Dès son enfance il avait été initié à cet art, et devenu membre d'une société d'harmonie d'instruments à vent, il avait fait de ses mains celui qu'il jouait.

Pour la réalisation de ses projets il ne possédait qu'un instinct admirable et sa grande habileté de main. Dépourvu des outils nécessaires, et n'ayant pour le seconder aucun ouvrier capable, il lui fallait tout créer sans argent et sans autres ressources que lui-même ; mais rien n'ébranla sa confiance, et les obstacles ne purent dompter sa volonté.

Lui-même, il fit tous les outils, appareils et machines nécessaires à ses travaux; lui-même, il forma ses ouvriers et s'instruisit en les dirigeant.

Il serait trop long de dire ici par quelle série de succès à toutes les expositions d'industrie, Sax parvint à monter des ateliers où travaillaient quelques centaines d'ouvriers, et dans lesquels on fabriquait tous les genres d'instruments de bois et de cuivre, tandis que, sans capitaux, il devait à chaque instant se créer des ressources nouvelles pour satisfaire aux dépenses énormes d'un établissement colossal.

L'exposition de Harlem, en 1825, fut pour lui l'occasion d'un triomphe complet, car non-seulement il y avait mis des instruments en bois et en cuivre de tous genres, remarquables par leurs qualités et le fini du travail, mais il y avait aussi abordé la lutherie par des violons et des violes qui furent admirés et vendus à haut prix.

Dès lors, le roi des Pays-Bas, Guillaume 1°, convaincu de la haute capacité de Sax, prit la résolution de l'aider dans ses vastes entreprises, et lui fit ouvrir un crédit sur les fonds de l'Etat.

Tranquille de ce côté, l'artiste donna carrière à son imagination pour la création de nouvelles familles d'instruments, et conçut la haute pensée de ramener la construction des instrumentsà venta une théorie générale etposilivede laquelle devaient découler toutes les améliorations partielles pour chacun d'eux.

Une illumination soudaine qui frappa son esprit, lui fit trouver, en 1832, la loi infaillible à l'aide de laquelle il divise les corps sonores et mesure la colonne d'air contenue dans les tubes.

Dès lors il put donner à ces tubes des proportions exactes et relatives à la quantité d'air qu'ils doivent contenir, et déterminer à priori la place où doit être percé chaque trou pour chaque intonation, quelle que soit la dimension de l'instrument.

Ce n'est point ainsi que procédaient les autres facteurs d'instruments : l'imitation et les tâtonnements étaient leurs ressources ordinaires, et c'est à cela que la plupart sont encore réduits au moment où ceci est écrit. Ecoutons ce qu'a dit de Sax le savant acousticien Savart, dans son Rapport sur l'exposition de 1839 :

"M. Sax père nous a donné une preuve évidente et matérielle de la division des instruments à vent sur une flûte percée d'une vingtaine de grands trous qui donnaient la gamme chromatique la plus exacte et la plus pleine que nous ayons jamais entendue. Ces trous avaient été percés du premier coup, sans tâtonnement et à l'aide de son compas.

Il en est résulté pour nous la conviction que M. Sax connaît la loi des vibrations d'une manière infaillible, et que les trous les plus grands donnent les sons les plus pleins. En forçant le soufle, sa flûte octavie deux ou trois fois avec la plus grande justesse."

Pourquoi faut-il que de si grandes et de si belles découvertes aient été en partie paralysées par des événements inattendus ?

Sans la révolution qui mit fin au royaume des Pays-Bas, Sax serait arrivé à la fortune et aurait pu mettre en évidence son incontestable supériorité.

A la suite de ce changement politique, il y eut pour lui comme pour tout le monde une suspension forcée d'affaires.

Plus tard il dut former une une association qui, loin de le relever, fut la cause de sa ruine; et quand cette ruine fut consommée, des hommes qui n'avaient pour toute instruction que l'imitation des produits, de son talent, et qui, jusque-là, étaient resté dans l'obscurité, se montrèrent tout-à-coup avec assurance, et trourvèrrent dans quelques artstes ingrats et a#jdes des protecteurs de leur médiocrité.

C'en était fait de Sax, du moins le croyaient ainsi ceux qui se proposaient de recueillir son héritage; mais le vulgaire ne sait pas ce qu'il y a de force dans une âme d'élite.

Supérieur à sa mauvaise fortune, homme de bien autant qu'homme de talent, l'artiste a conservé son calme et sa force de tête.

Poursuivant son œuvre, il achève de perfectionner ses nombreuses améliorations du système des instruments à vent, et, méditant sans relâche sur les mystères dé l'acoustique, il vient de constater, par une expérience décisive, l'existence d'un principe aussi nouveau qu'important pour la meilleure construction possible des pianos, soit sous le rapport du plus grand volume de son, soit sous celui de la conservation de ces instruments.

Comme tous les hommes supérieurs et à grandes vues, Sax généralise toutes ses idées, et remonte à leur expression la plus radicale.

Depuis longtemps il avait constaté que la puissance de son du violon, dont le corps sonore est proportionnellement petit, provient de ce que l'angle formé par les cordes avec le plan de la table, au moyen du chevalet qui les élève, est la cause qui imprime à cette table des vibrations énergiques, d'où résulte l'éclat des sons.

La guitare lui avait aussi démontré que des cordes tendues parallèlement à la table d'harmonie sont impuissantes à imprimer une vibration totale à cette table, et conséquemment qu'on ne peut tirer que des sons faibles d'un instrument ainsi construit.

Il en avait conclu que la puissance des sons du piano serait infiniment plus considérable que dans les meilleurs instruments actuels de cette espèce, si la hauteur du chevalet était augmentée dans une proportion convenable.

Cependant il ne se dissimulait pas le danger inévitable de la destruction de la table d'harmonie sous la pression formidable de toutes les cordes, qui, dans un grand instrument, devait égaler 20,000 kilogrammes, eu égard à l'augmentation considérable de tirage produite parles angles de ces cordes, le chevalet du nouveau système devant être à l'égard de celui des grands pianos actuels, comme 4 est à 1.

Par la plus heureuse conception, non seulement Sax a fait disparaître ce danger, mais il a résolu de la manière la plus complète un problème considéré jusqu'à ce jour comme insoluble, lequel consiste à soustraire la table à l'action du tirage des cordes, et conséquemment à donner à l'instrument toutes les conditions de solidité et même d'amélioration, sans avoir recours aux. moyens ordinaires du barrage en fer. Voici le moyen aussi simple, aussi rationnel que victorieux, imaginé par l'habile acousticien.

Une ligne droite tirée des points d'attache des cordes, aux deux extrémités de l'instrument, passe par un plan parfaitement horizontal.

Ces points d'attache, comme on sait, portent sur des sommiers. Le problème à résoudre était d'empêcher que la pression énorme des cordes, soulevées de leur plan par l'élévation considérable du chevalet qui leur fait décrire un angle d'environ 30 degrés, n'écrasât, dès le premier jour, le mince support de la table d'harmonie.

La solution cherchée consistait à faire disparaître cette charge, pour la rejeter aux points d'attache. Réduite à cette simple donnée, cette solution fut trouvée immédiatement par Sax, qui la formula de cette manière : Pour anéantir la pression des cordes sur le chevalet et de celui-ci sur la table, deux forces égales doivent agir en sens inverse.

Si donc une corde pèse sur le chevalet dans une proportion déterminée par l'angle qu'elle décrit, une autre corde, décrivant un angle égal opposé, soutiendra le chevalet dans une proportion égale, puis, toutes deux ramenées au plan horizontal, n'exerceront plus d'action que sur leur point d'attache.

Ce qui est vrai pour deux cordes, l'est également pour toutes celles de l'instrument divisées par moitié et agissant en sens inverse.

Mais cela étant, aucune pression quelconque n'est exercée sur la table d'harmonie; dès lors le barrage croisé qui, dans l'état actuel de la fabrication des pianos, soutient cette table pour la préserver de sa destruction, ce barrage, dis-je, non seulement n'est plus nécessaire, mais il faut se hâter de le faire disparaître ; car le barrage des tables d'harmonie de tous les instruments, imposé comme condition de solidité, n'a été jusqu'à ce moment qu'une inévitable calamité, étant évidemment un obstacle opposé à l'élasticité de la table, et conséquemment à la libre propagation des vibrations.

De là vient que si vous appliquez la main sur une table de piano au moment où une touche fait résonner une note quelconque, veus reconnaissez qu'il est certains points de cette table qui ne frémissent pas: les vibrations ne sont que partielles.

Une autre conséquence très-importante de l'isolement où Sax a placé la table d'harmonie de l'action des cordes sur le chevalet, c'est qu'elle échappera désormais aux contractions que lui fait éprouver l'état actuel des choses, contractions telles, qu'après un certain nombre d'années, on remarque que le son des meilleurs pianos a subi de notables altérations, parce que, par degrés, un resserrement s'est opéré dans les fils propagateurs des vibrations, la table s'est raidie, et le son est devenu maigre et sec.

S'il n'en était pas ainsi, le piano, au lieu de se détériorer en peu d'années, s'améliorerait avec le temps; car la table de cet instrument devrait, comme celle du violon, acquérir plus d'élasticité par un usage fréquent.

Il y a deux choses distinctes dans un piano, à savoir, le volume du son, qui réside dans la construction de la caisse sonore, et la mécanique, d'où dépendent non-seulement la légèreté, l'égalité du toucher et la puissance de l'attaque, mais le timbre, c'est-à-dire la qualité et la distinction du son.

Cela posé, il est évident que la mécanique, comme tout ce qui est soumis à l'action du frottement, doit se détériorer par l'usage; mais le son, dans son volume et sa propagation, devrait s'améliorer par l'exercice de l'élasticité de la table.

Il est donc évident qu'un grand et beau piano bien construit resterait toujours dans son état primitif par un simple renouvellement de la mécanique, mais il n'en est point ainsi, parce que le système en usage jusqu'à ce jour doit avoir pour résultat l'altération progressive des qualités vibratoires de l'instrument comme celles du toucher.

Tels sont donc les résultats que s'est proposé d'obtenir M. Sax père parla théorie : voyons ce que lui a donné la pratique. Il n'est pas facteur de piano et n'avait rien de ce qui lui était nécessaire pour en construire.

Il prit le parti le plus simple, qui fut d'appliquer son système à un ancien petit piano droit de Lichtenthal, instrument d'une sonorité sourde et courte, dont la mécanique, complètement, usée, n'est composée que de marteaux trop petits qui balottent et n'ont aucune rectitude ni aucune fermeté d'action, et enfin d'un clavier dont les touches sont en perpétuelles oscillations et ne font entendre que des claquements.

C'est avec ce bel instrument que l'artiste voulut réaliser ses grandes vues. Ayant fait disparaître la table, il la remplaça par une autre qui n'a que la moitié d'épaisseur de celles dont on fait généralement usage, et n'y adapta aucun barrage.

Puis il établit son chevalet suivant les principes que j'ai expliqués précédemment, tendit ses cordes, rajusta tant bien que mal le vieux mécanisme de Lichtenthal, et enfin, un des fils intelligents de cet homme de génie se mit à jouer de ce piano fait à si peu de frais.

A l'instant même les passants s'arrêtèrent dans la rue et cherchèrent à deviner où pouvait être le grand orchestre qu'on entendait. Ce fut une rumeur.

Plusieurs artistes se hâtèrent d'aller faire euxmême l'expérience du nouvel instrument, et furent frappés d'admiration. Ce qui surtout les étonnait, c'était la longue portée des sons vigoureux et purs, et la puissance des basses dans un petit piano droit de la plus minime dimension.

Ces résultats avaient été obtenus du premier coup, sans tâtonnement, et avec la certitude que donne un principe à toute haute intelligence.

Alors Sax est venu me trouver, car il connaît mes sympathies dévouées pour l'art, pour la science, pour la vérité, pour les hommes de haute valeur.

Vous seul ici, me dit-il, pouvez me comprendre et expliquer ce que j'ai voulu faire et ce que j'ai fait; venez, et juges. Je ne tardai pas à le suivre. Il voulut me surprendre, et dès qu'il sut que j'arrivais, il fit placer son fils au piano.

Je fus réellement confondu à l'audition de ces sons de cloches qui remplissaient la rue, les fenêtres étant fermées. Je rie pouvais me persuader qu'ils fussent produits par une de ces petites caisses d'instrument à sonorité négative, que je connais sous le nom de Lichtenlhal.

Ceci n'était qu'une impression inattendue; mais ce que je vis et étudiai ensuite dans l'atelier, fut une émotion plus durable, une admiration sincère pour la belle découverte d'un de ces principes féconds et radicaux qui sont le fond des choses, comme les quatre lois de Keppler et l'attraction universelle de Newton sont toute la science de l'astronomie.

La pensée de Sax est complète, et ses résultats divers sont tous des conséquences naturelles du principe. Par cette observation simple et vraie que les cordes parallèles au plan de la table d'harmonie n'impriment à celle-ci que de faibles oscillations vibratoires, et que des vibrations énergiques ne peuvent être le produit que de cordes qui forment, avec le plan de cette table, un angle plus ou moins aigu, il a trouvé le secret de la plus grande sonorité possible.

Par l'idée non moins lumineuse de l'équilibre de deux forces égales entre deux points fixes, il a déchargé la table d'harmonie du poids des cordes, en sorte que si l'on pouvait retirer cotte table, le chevalet resterait suspendu, et serait toujours le point d'appui.

Devenue parfaitement libre de son poids supérieur, la table se débarrasse également de son barrage qui nuisait à ses vibrations, et ses excursions vibratoires deviennent tellement énergiques, que ma main était vigoureusement impressionnée sur toute sa surface, quelle que fût la note touchée. Par le fait d'affranchfesement de son élasticité, la table ne peut plus raidir ni se détériorer.

Au contraire, ses facultés vibraloires doivent s'améliorer progressivement; d'où il suit que la rapide destruction des pianos doit cesser, et que, par l'effet du temps, la sonorité doit augmenter de volume et de pureté.

M. Sax a pris brevet pour son invention en France et en Angleterre comme en Belgique ; cependant il n'est pas facteur de pianos, et il ne se propose pas de le devenir, persuadé que les perfectionnements de détails dont sa grande découverte est susceptible ne peuvent être exécutés que dans de grands établissements disposés pour ce genre de fabrication.

Il pense, d'ailleurs, qu'il est nécessaire de faire entrer sa théorie pratique du son des pianos dans le domaine public, et il s'est persuadé qu'une association des principaux facteurs devrait se former pour atteindre ce but, et lui offrir une indemnité proportionnée au service qu'il aura rendu.

Quoi qu'il en soit, le père d'Adolphe Sax, autre inventeur doué d'autant de courage et de persévérance que de talent, cet homme que-tant de beaux travaux honoraient déjà et rendaient respectable, me parait destiné à laisser un nom impérissable dans l'histoire de la facture des pianos. FÉTIS père."  Revue et gazette musicale de Paris, Volume 18, 1851, p. 129-131   - voir LICHTENTHAL à Bruxelles (°1823).

1 mai 1851

Paris, 1° mai 1851.

"Monsieur,

J'ai lu dans le numéro du 27 avril dernier de votre estimable journal, un article de M. Fétis père, dans lequel il rend compte d'une découverte qu'aurait faite M. Sax père, relativement à la construction des pianos, et dont le but est de neutraliser la pression que les cordes exercent sur la table d'harmonie.

Sans entrer ici dans l'examen de la valeur de cette invention, je dois à la mérilé de déclarer que le 6 janvier 1836, M. Marion de La Brillantais, alors mon associé, fit la demande d'un brevet de 15 ans pour une construction de piano à clievalet compensateur, où les cordes de chaque note agissent alternativement en sens inverte sur la table d'harmonie, qui se trouve ainsi parfaitement dégagée de la charge que les cordes exercent sur elle dans les pianos ordinaires; brevet qui lui fut accordé le 19 août suivant (1836).

Dans le mois d'avril de la msme année, je construisis deux pianos droits d'après ce procédé, et en 1837, plusieurs pianos à queue dans le même système, dont l'un fut joué par M. Thalberg dans le concert qu'il donna à cette époque au proht des incendiés de la rue du Pot-de-Fer.

Une de nos pianistes-amateurs les plus distinguées, Mlle Nieho's, possède encore aujourd'hui un semblable piano à queue, portant le n° 5602.

Quant à l'augmentation de la hauteur du chevalet, j'ai aussi fait plusieurs pianos où le chevalet, dans la basse principalement, est du double de la hauteur ordinaire.

Enfin, j'ai fabriqué, dès 1827 et 1828, quelques pianos carrés avec une table d'harmonie sans barres et, depuis, ce système a été essayé par plusieurs facteurs et mis en pratique très heureusement par M. Wolfel, artiste aussi habile qu'ingénieux

J'ose espérer. Monsieur que vous voudrez bien publier cette lettre dans votje prochain numéro, pour éviter les difficultés qui pourraient s'élever sur la vuleur industrielle de procédés de fabrication qui ont déjà été lob et d'un brevet et qui vont dans quelques mois tomber dans le domaine public (1).

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de ma considération la plus distinguée.
Camille PLEYEL.

(1) M. Pleyel a eu raison de penser que nous ne ferions nulle difficulté d'insérer sa lettre, sous toute réserve du droit de réponse et d'éclaircissements de la part de MM. Fétis et Sax père. La question nous parait valoir d'être étudiée dans l'intérêt général et particulier."

Revue et gazette musicale de Paris, Volume 18, 1851, p. 141 - voir Marion DE LA BRILLANTAIS et - voir WÖLFEL (°1834)

7 mai 1851

"Paris, 7 mai.

Le numéro 48 de la Gazette musicale contient une lettre de M. Pleyel pour revendiquer la priorité d'un nouveau procédé par M. Sax père à la construction des pianos.

Comme mon nom se trouve cité dans cette lettre, je me vois obligé de vous adresser quelques mots en réponse au passage qui me concerne, et f ose espérer que vous n'en refuserez pas l'insertion.

Très-sensible aux éloges que M. Pleyel a bien voulu me donner, je ne saurais cependant les accepter tels qu'il les a formulés, car il s'ensuivrait que j'aurais été son imitateur dans l'application d'un procédé que je dois à mes propres recherches, et qui ne se borne pas à la simple suppression des barres de la table d'harmonie.

Mon système, au contraire, repose sur un ensemble de combinaisons pour lequel j'ai oblenu un brevet de quinze ans, et qui n'a rien de commun en principe avec les essais que M. Pleyel dit avoir faits en 1827 et 1828.

Agréez, etc.

F. WOLFEL."

Revue et gazette musicale de Paris, Volume 18, 1851, p. 150  - voir WÖLFEL (°1834)

8 mai 1851

"Sur la découverte d'un nouveau principe physique; Pour le perfectionnement des pianos.

Bruxelles, 8 mai 1851.


Ce n'est pas sans étonnement que j'ai lu dans le numéro 18 de la Gazette musicale une lettre de M. Camille Pleyel, dont le but est d'élever des réclamations contre l'analyse que j'ai donnée dans le numéro précédent d'une découverte (je maintiens à bon droit l'expression) de M. Sax père, qui, je le soutiens encore, exercera une très grande influence sur l'avenir de la construction des pianos.

Mon étonnement provient non de ce que M. Pleyel élève une question de priorité, circonstance qui se reproduit chaque fois qu'une idée nouvelle se fait jour; mais de ce que l'auteur de la lettre présente, par inadvertance sans doute, comme objet principal de l'invention ce qui n'en est évidemment que l'accessoire.

J'ai vu M. Pleyel autrefois fort occupé d'essais pour l'amélioration des pianos, et je le croyais très capable de saisir, au simple énoncé, la valeur des choses qui tendent à ce résultat. J'avais tâché de donner à mes explications toute la clarté possible: il parait que je n'ai pas atteint mon but.

Permettez-moi, Monsieur, de remettre la question à son véritable point de vue, et d'en faire disparaître les ambiguïtés par lesquelles on pourrait l'obscurcir.

Et d'abord je dois vider la question de priorité qu'on oppose à quelques-uns des corollaires de la découverte de M. Sax. Lorsque j'ai communiqué à ce savant acousticien la lettre de M. Pleyel, il y a fait une réponse péremptoire en mettant sous mes yeux le brevet qu'il a obtenu au mois d'octobre 1829 pour ce même piano qu'il vient d'exécuter aujourd'hui.

Occupé alors de constater par de belles expériences les phénomènes de la production des sons dans les trois systèmes de tubes des instruments à vent cylindriques, coniques et paraboliques, il ne songea point à tirer parti immédiatement de ce brevet.

Plus tard vinrent les événements de 1830, qui paralysèrent ses travaux et le mirent dans la nécessité de se préoccuper des moyens de soutenir son établissement. Le temps s'écoula, et le moment vint où, pour ne pas perdre le bénéfice de son invention, M. Sax fut obligé de demander le renouvellement de son brevet, s'appuyant sur les circonstances qui ne lui avaient pas permis d'en faire usage.

Sa demande fut accueillie, et de nouveau un brevet lui a été concédé pour le terme de quinze années. L'objet des deux brevets est identiquement le même, sans variation, sans modification aucune. M. Sax n'essaie pas, ne tâtonne pas: il sait tout d'abord ce qu'il doit produire.

Examinons maintenant la valeur des réclamations. En 1836, un associé de M. Pleyel obtient un brevet d'invention pour un piano à chevalet compensateur sur lequel les cordes agissent en sens inverse et dégagent la table d'harmonie de sa charge ordinaire.

M. Pleyel construit en 1836 et 1837 plusieurs instruments d'après ce système, et M. Thalberg joue un de ces pianos dans un concert donné à la même époque. Je n'écris pas pour faire remarquer que 1836 et 1837 viennent longtemps après 1829 : la priorité est évidente en faveur de M. Sax; mais encore une fois, je ne viens pas défendre ses droits sous ce rapport, car je m'occupe d'art, de science, et non d'industrie.

Ce que j'ai à dire est plus sérieux, M. Thalberg joue un ùm pianos construite dans lû nouveau système en 1837.

Mais vraisembalblement quelque chose s'opposait à ce que l'amélioration qu'on espérait répondit à cette attente, car depuis lors M. Thalberg n'a plus joué que des pianos de M. Erard ; et, ce quj est plus significatif encore, M. Pleyel, qui fabriquait en 1836 et 1837 des pianos d'après le système dont il s'agit, l'abandonne ensuite, et, durant quatorze années, rentre dans le système ordinaires des chevalets non compensateurs.

En 1827 et 1828, M. Pleyel a construit quelques pianos carrés avec une table d'harmonie sans barres; il oublie de dire que des pianos de ce genre avaient été fabriqués dès 1825 par Clementi et Collard, de Londres, et que ces tables étaient courtes, à sommier métallique prolongé.

Ces pianos n'avaient pas de son, et M. Pleyel y a sagement renoncé aussi bien que ses devanciers.

Enfin, quant à L'augmentation de l'hauteur du cheva'et, j'ai aussi fait (M. Pleyel) plusieurs pianos où le chevalet, dans la basse principalement, est du double de la hauteur ordinaire. Et après avoir fait ces quelques pianos, M. Pleyel a reconnu vraisemblablement qu'ils ne justifiaient pas ce qu'il en espérait, car il y renonça encore pour reprendre ses anciennes habitudes.

Remarquez, Monsieur, l'incohérence de tous ces essais. En 1827 et 1828 on fait des tables courtes sans barres.

Mais cette idée malheureuse était un pas rétrograde; car les tables longues, imaginées en 1806 par Petzold pour les pianos carrés, avaient été un progrès remarquable, ayant non seulement augmenté le prolongement des vibrations, mais ayant eu pour conséquences nécessaires l'allongement du levier des marteaux, la conception de l'échappement libre et l'usage des cordes d'une élasticité plus énergique.

C'est à dater de cette époque que toutes les vues se sont portées vers la recherche d'une plus grande puissance sonore.

Mais pour faire de longues tables sans barrage, il aurait fallu recourir ou au chevalet compensateur, ou au moyen artificiel d'une force mise en opposition à la traction des cordes ; or ce n'est que neuf ans plus tard que M. Pleyel fabrique deux pianos droits et plusieurs pianos à queue, dans lesquels il fait usage du chevalet compensateur; et dans ceux-là, le barrage des tables est conservé.

Mais quel est ce chevalet compensateur ?

Un chevalet qui ne fait point d'angle sensible avec les points d'attache des cordes, et dont la compensation serait conséquemment impuissante contre l'effort de traction, si la barrage de la table et les précautions ordinaires de solidité matérielle n'y suppléaient.

Ce chevalet n'a aucun rapport avec celui de M. Sax père. Je le démontrerai tout à l'heure.

Enfin, M. Pleyel a aussi fait plusieurs pianos où le chevalet, dans la basse principalement, est du double de la hauteur ordinaire. En quel temps ces instruments ont-ils été fabriqués ?  quel but le facteur se proposait-il ?

Comment cette innovation s'est-elle fait connaître publiquement ?

L'auteur de la lettre ne le dit pas. Pourtant cela est de grande importance; car je ferai voir tout à l'heure que toute la question qui nous occupe est là-dedans.

A défaut de renseignements ou de l'exhibition d'un des instruments dont il s'agit, j'ai, par la nature même des choses, la preuve que M. Pleyel est dans une erreur complète en croyant voir quelque analogie entre son chevalet et celui de M. Sax.

Pour démontrer cette proposition, j'ai besoin de remplacer les termes dont s'est servi l'auteur de la lettre par d'autres d'une exactitude plus rigoureuse.

Ainsi, au lieu dedans la basse principalement, je dis : dans la basse seulement; car il est de toute évidence que le chevalet ne pouvait s'incliner par une courbe de la basse au-dessus.

Le chevalet était en deux parties occupant des positions différentes : la partie destinée aux cordes de la basse était dans un plan plus élevé que celui du médium et du dessus.

Mais les cordes placées sur cette partie de chevalet faisaient-elles un angle avec le point d'attache et un autre avec le plan de la table ?

Non, car d'une part la forme du chevalet employée par les facteurs de piano y oppose un obstacle invincible, attendu qu'il est plat, que sa largeur est d'environ dix lignes dans une partie de son étendue, et qu'enfin les cordes font sur les pointes de ce chevalet deux angles horizontaux inversés qui, opposés aux deux angles d'inclinaison, causeraient inévitablement leur rupture lorsqu'on voudrait les tendre.

En second lieu, la surcharge énorme des cordes formant des angles opposés d'inclinaison sur la table d'harmonie, amènerait la destruction de celle-ci, si l'on n'y opposait le contre-poids du chevalet compensateur.

Ceci me conduit directement à examiner si M. Pleyel prend le change sur la signification de la découverte qu'a faite M. Sax, lorsqu'il dit que son but est de neutraliser la pression que les cordes exercent sur la table d'harmonie.

Cette inadvertance a lieu de m'étonner de la part du chef d'une des grandes fabriques de pianos de Paris. Je croyais cependant m'être exprimé avec assez de clarté pour qu'elle n'eût pas lieu.

Ce que j'ai dit, c'est que la comparaison des qualités sonores du violon et de la guitare a fait reconnaître à M. Sax père que la table d'harmonie des instruments reçoit un ébranlement plus fort et produit des vibrations plus énergiques lorsque les cordes font avec son plan un angle plus ou moins aigu, que lorsque les cordes sont parallèles à son plan.

J'ai dit que ce principe a conduit M. Sax à poser les cordes du piano sur un chevalet très-élevé.

Ce chevalet, aminci à son sommet comme celui des instruments à archet, laisse glisser les cordes, qui ne sont pas contraintes par des pointes, et qui ne frôlent pas, à cause des angles qu'elles décrivent. L'objet du principe appliqué par M. Sax, c'est donc la production de la plus grande puissance sonore possible, et non la neutralisation de la pression que les cordes exercent sur la table d harmonie.

Mais, en produisant cette puissance sonore, on augmenterait dans une proportion énorme la charge qui pèse sur la table, si l'on ne parvenait à neutraliser la pression par une force mise en équilibre ; de là l'idée du chevalet compensateur de M. Sax : véritable compensateur, celui-là, en ce qu'à une grande force d'action, il oppose une force égale de résistance.

Cette idée, quelque ingénieuse qu'elle soit, n'est pas le but proposé, mais le moyen de l'atteindre. C'est une condition de solidité; mais, par soi-même, ce ne peut être une amélioration de l'instrument.

Cependant, de cette ingénieuse idée sort immédiatement une conséquence très-importante pour l'objet principal, à savoir, que la table, allégée de son poids, n'a plus besoin d'être soutenue par le barrage, et qu'en faisant disparaître cet appareil devenu inutile, on rend à la table d'harmonie la libre action de son élasticité, et, par suite, on augmente ses qualités vibratoires.

Tout se tient dans la pensée de M. Sax : toutes les conséquences découlent du principe ; c'est eu cela qu'il a fait une découverte sur laquelle il n'est pas possible de prendre le change, à moins qu'on ne le veuille. Reconnaissons donc le mérite de cette découverte, quelque inconvénient qu'il en puisse résulter pour des intérêts industriels.

Veuillez agréer, Monsieur, mes salutations empressées.
FÉTIS père."
Revue et gazette musicale de Paris, Volume 18, 1851, p. 145-146

11 mai 1851

"SUR LA DÉCOUVERTE D'UN NOUVEAU PRINCIPE PHYSIQUE.

Pour le perfectionnement de pianos.

Bruxelles, 3 mai 1851.

Ce n'est pas sans étonnement que j'ai lu dans le numéro 18 de la Gazette musicale une lettre de M. Camille Pleyel, dont le but est d'élever des réclamations contre l'analyse que j'ai donnée dans le numéro précédent d'une découverte (je maintiens à bon droit l'expression) de M. Sax père, qui, je le soutiens encore, exercera une très grande influence sur l'avenir de la construction des pianos.

Mon étonnement provient non de ce que M. Pleyel élève une question de priorité, circonstance qui se reproduit chaque fois qu'une idée nouvelle se fait jour; mais de ce que l'auteur de la lettre présente, par inadvertance sans doute, comme objet principal de l'invention ce qui n'en est évidemment que l'accessoire.

J'ai vu M. Pleyel autrefois fort occupé d'essais pour l'amélioration des pianos, et je le croyais très capable de saisir, au simple énoncé, la valeur des choses qui tendent à ce résultat.

J'avais taché de donner à mes explications toute la clarté possible : il paraît que je n'ai pas atteint mon but. Permettez-moi, Monsieur, de remettre la question à son véritable point de vue et d'en faire disparaître les ambiguïtés par lesquelles on pourrait l'obscurcir.

Et d'abord je dois vider la question de priorité qu'on oppose à quelques-uns des corollaires de la découverte de M. Sax. Lorsque j'ai communiqué a ce savant acousticien la lettre de M. Pleyel, il y a fait une réponse péremptoire en mettant sous mes yeux le brevet qu'il a obtenu au mois d'octobre 1829 pour ce même piano qu'il vient d'exécuter aujourd'hui.

Occupé alors de constater par de belles expériences les phénomènes de la production des sons dans les trois systèmes de tubes des instruments à vent cylindriques, coniques et paraboliques, il ne songea point à tirer parti immédiatement de ce brevet.

Plus tard vinrent les événements de 1830, qui paralysèrent ses travaux et le mirent dans la nécessité de se préoccuper des moyens de soutenir son établissement.

Le temps s'écoula, et le moment vint où, pour ne pas perdre le bénéfice de son invention, M. Sax fut obligé de demander le renouvellement de son brevet, s'appuyant sur les circonstances qui ne lui avaient pas permis d'en faire usage. Sa demande fut accueillie, et de nouveau un brevet lui a été concédé pour le terme de quinze années.

L'objet des deux brevets est identiquement le même, sans variation, sans modification aucune. M. Sax n'essaie pas, ne tâtonne pas : il sait tout d'abord ce qu'il doit produire.

Examinons maintenant la valeur des réclamations. En 1836, un associé [- Voir DE LA BRILLANTAIS MARION Louis Marie] de M. Pleyel obtient un brevet d'invention pour un piano à chevalet compensateur sur lequel les cordes agissent en sens inverse et dégagent la table d'harmonie de sa charge ordinaire. M. Pleyel construit en 1836 et 1837 plusieurs instruments d'après ce système, et M. Thalberg joue un de ces pianos dans un concert donné à la même époque.

Je n'écris pas pour faire remarquer que 1836 et 1837 viennent longtemps après 1829 : la priorité est évidente en faveur de M. Sax; mais encore une fois, je ne viens pas défendre ses droits sous ce rapport, car je m'occupe d'art, de science, et non d'industrie. Ce que j'ai à dire est plus sérieux. M. Thalberg joue un des pianos construits dans le nonvnai système en 1837.

Mais vraisembablement quelque chose s'opposait à ca[illisible] que l'amélioration qu'on espérait répondit a cette attente, car depui: lors M. Thalberg n'a plus joué que des pianos de M. Erard; et, ce qu est plus significatif encore, M. Pleyel, qui fabriquait en 1836 et 183[?], des pianos d'après le système dont il s'agit, l'abandonne ensuite, et durant quatorze années, rentre dans le système ordinaires des chevalet: non compensateurs.

En 1827 et 1828, M. Pleyel a construit quelques pianos carrés avec une table d'harmonie sans barres; il oublie de dire que des pianos de ce genre avaient été fabriqués dès 1825 par Clémenti et Collard, de Londres, et que ces tables étaient courtes, à sommier métallique prolongé. Ces pianos n'avaient pas de son, et M. Pleyel y a sagement renoncé aussi bien que ses devanciers.

Enfin, quant à l'augmentation de l'hauteur du chevalet, j'ai aussi fait (M. Pleyel) plusieurs pianos où le chevalet, DANS LA BASSE PRINCIPALEMENT, est du double de la hauteur ordinaire. Et après avoir fait ce quelques pianos, M. Pleyel a reconnu vraisemblablement qu'ils ne justifiaient pas ce qu'il en espérait, car il y renonça encore pour reprendr ses anciennes habitudes.

Remarquez, Monsieur, l'incohérence de tous ces essais. En 1827 et 1828 on fait des tables courtes sans barres. Mais cette idée malheureuse était un pas rétrograde; car les tables longues, imaginées en 1806 par Petzold pour les pianos carrés, avaient été un progrès remarquable, ayant non seulement augmenté le prolongement des vibrations mais ayant eu pour conséquences nécessaires l'allongement du levier des marteaux, la conception de l'échappement libre et l'usage de cordes d'une élasticité plus énergique.

C'est à dater de cette époque que toutes les vues se sont portées vers la recherche d'une plus grand puissance sonore.

Mais pour faire de longues tables sans barrage, aurait fallu recourir ou au chevalet compensateur, ou au moyen artificiel d'une force mise en opposition à la traction des cordes; or ce n'est que neuf ans plus tard que M. Pleyel fabrique deux pianos droits et plusieurs pianos à queue, dans lesquels il fait usage du chevalet compensateur; et dans ceux-là, le barrage des tables est conservé.

Mais quel est ce chevalet compensateur ? Un chevalet qui ne fait point d'angle sensible avec les paints d'attache des cordes, et dont la compensation serait conséquemment impuissante contre l'effort de motion, si le barrage de la table et les précautions ordinaires de soliüté matérielle n'y suppléaient. Ce chevalet n'a aucun rapport avec celui de M. Sax père, je le démontrerai tout à l'heure.

Enfin, M. Pleyel a aussi fait plusieurs pianos où le chevalet, dans la basse principalement, est du double de la hauteur ordinaire.

En quel temps ces instruments ont-ils été fabriqués ? quel but le facteur se proposait-il ? Comment cette innovation s'est-elle fait connaître publiquement ? L'auteur de la lettre ne le dit pas. Pourtant cela est de grande importance; car je ferai voir tout à l'heure que toute la question qui nous occupe est là dedans.

A défaut de renseignements ou de l'exhibition d'un des instruments dont il s'agit, j'ai, par la nature même des choses, la preuve que M. Pleyel est dans une erreur complète en croyant voir quelque analogie entre son chevalet et celui de M. Sax. Pour démontrer cette proposition, j'ai besoin de remplacer les termes dont s'est servi l'auteur de la lettre par d'autres d'une exactitude plus rigoureuse.

Ainsi, au lieu de : dans la basse principalement, je dis: dans la basse seulemenl; car il est de toute évidence que le chevalet ne pouvait s'incliner par une courbe de la basse au-dessus.

Le chevalet était en deux parties occupant des positions différentes: la partie destinée aux cordes de la basse était dans un plan plus élevé que celui du médium et du dessus.

Mais les cordes placées sur cett.e partie de chevalet faisaient-elles un angle avec le point d'attache et un autre avec le plan de la table ?

Non, car d'une part la forme du chevalet employée par les facteurs de piano y oppose un obstacle invincible, attendu qu'il est plat, que sa largeur est d'environ dix lignes dans une partie de son étendue, et qu'enfin les cordes font sur les pointes de ce chevalet deux angles horizontaux inverses qui, opposés aux deux angles d'inclinaison, causeraient inévitablement leur rupture lorsqu'on voudrait les tendre.

En second lieu, la surcharge énorme des cordes formant des angles opposés d'inclinaison sur la table d'harmonie. amènerait la destruction de celle-ci, si l'on n'y opposait le contre-poids du chevalet compensateur.

Ceci me conduit directement à examiner si M. Pleyel prend le change sur la signification de la découverte qu'a faite M. Sax, lorsqu'il dit que son but est de neutraliser la pression que les cordes excercent sur la table d'harmonie.

Cette inadvertance a lieu de m'étonner de la part du chef d'une des grandes fabriques de pianos de Paris. Je croyais cependant m'ètre exprimé avec assez de clarté pour qu'elle n'eût pas lieu.

Ce que j'ai dit, c'est que la comparaison des qualités sonores du violon et de la guitare a fait reconnaître à M. Sax père que la table d'harmonie des instruments reçoit un ébranlement plus fort et produit des vibrations plus énergiques lorsque les cordes font avec son plan un angle plus ou moins aigu, que lorsque les cordes sont parallèles à son plan.

J'ai dit que ce principe a conduit M. Sax à poser les cordes du piano sur un chevalet très-élevé. Ce chevalet, aminci à son sommet comme celui des instruments à archet. laisse glisser les cordes, qui ne sont pas contraintes par des pointes, et qui ne frôlent pas, à cause des angles qu'elles décrivent.

L'objet du principe appliqué par M. Sax, c'est donc la production de la plus grande puissance sonore possible, et non la neutralisation de la pression que les cordes exercent sur la table de harmonie.

Mais, en produisant cette puissance sonore. on augmenterait dans une proportion énorme la charge qui pèse sur la table, si l'on ne parvenait à neutraliser la pression par une force mise en équilibre ; de là l'idée du chevalet compensateur de M. Sax : véritable compensateur, celle-là, en ce qu'à une grande force d'action, il oppose une force égale de résistance.

Cette idée, quelque ingénieuse qu'elle soit, n'est pas le but proposé, mais le moyen de l'atteindre. C'est une condition de solidité; mais, par soi-même, ce ne peut être une amélioration de l'instrument.

Cependant, de cette ingénieuse idée sort immédiatement une conséquence très-importante pour l'objet principal, à savoir, que la table, allégée de son poids, n'a plus besoin d'être soutenue par le barrage, et qu'en faisant disparaître cet appareil devenu inutile, on rend à la table d'harmonie la libre action de son élasticité, et, par suite, on augmente ses qualités vibratoires.

Tout se tient dans la pensée de M. Sax : toutes les conséquences découlent du principe; c'est en cela qu'il a fait une découverte sur laquelle il n'est pas possible de prendre le change, à moins qu'on ne le veuille. Reconnaissons donc le mérite de cette découverte. quelque inconvénient qu'il en puisse résulter pour des intérêts industriels.

Veuillez agréer, Monsieur, mes salutations empressées.

FÉTIS père." Revue et gazette musicale de Paris: journal des artistes, des amateurs et ..., 1851, p. 145-146

15 mai 1851

"Paris, 15 mai 1851.

Permettez-moi de réclamer encore une fois voire obligeance pour l'insertion de quelques lignes, en réponse à l'article de M. Fétis père, publié dans votre journal du 14 mai.

M. Sax père n'a pris, ni en 1829, ni dans les années suivantes, jusqu'en 1850, aucun brevet en France, pour une invention applicable aux pianos; en eût-il pris un, il serait tombé en déchéance, conformément à l'art. 32 de la loi française, qui exige que le brevet soit mis en exploitation dans les deux ans qui suivent sa délivrance.

Les pianos à chevalets compensateurs que j'ai fabriqués en 1837 et 1838 sont donc les premiers de ce genre qui aient été mis en circulation en France, et la valeur vénale de l'invention de M. Sax père est nulle, puisque les procédés qu'il emploie sont dans le domaine public.

C'est tout ce que je tiens à établir, car je n'ai ni le temps ni l'envie d'engager une polémique sur le mérite de celle découverte. Lorsqu'elle sera mise en lumière, le public en jugera, et son verdict réduira à leur juste valeur les louanges et les critiques plus ou moins intéressées qui pourront en être faites.

Agréez, Monsieur le Rédacteur, la nouvelle expression de ma considération la plus distinguée.

Camille PLEYEL."

Revue et gazette musicale de Paris, Volume 18, 1851, p. 157 

27 mai 1851

"Bruxelles 27 mai 1851.

Monsieur le Rédacteur,

L'intérêt que vous portez à'toul ce qui se rattache à l'art musical me donne l'espoir que vous voudrez insérer dans votre estimable journal quelques éclaircissements sur deux lettres de M. Camille Pleyel relativement à mon nouveau piano.

Je n'aurais rien à ajouter à la réfutation faite par M. Fétis de la première lettre de M. Pleyel si je ne sentais le besoin d'éclairer le public sur les faits que ce dernier s'efforce d'obscurcir.

Si je parlais à M. Pleyel, je lui dirais : Vous réclamez la priorité d'invention du chevalet compensateur dès 1836; comment se fait-il donc que l'instrument n'ait pas figuré à l'exposition de l'industrie en 1839 ni aux suivantes ?

Comment se fait-il enfin que vous ayez abandonné une si belle invention pour rentrer dans les habitudes communes ?

Mais ce n'est pas seulement à M. Pleyel que je dois parler, car la persistance qu'il a mise dans sa deuxième lettre à maintenir ce qu'il avait avancé dans la première, et sa manière de raisonner pour nier la possibilité que j'aie obtenu un brevet d'invention pour un nouveau piano en 1829, m'obligent à rétablir des faits irrécusables à la face du public.

M. Pleyel dit : M. Sax père n'a pris ni en 1829 ni dans les années suivantes jusqu'en 1850, aucun brevet en France pour une invention applicable aux pianos.

Est-il possible que M. Pleyel se persuade qu'on ne prend de brevets qu'en France? M. Fétis a dit en cela la vérité comme dans tout ce qu'il a écrit.

Il aurait pu ajouter que j'avais obtenu, par arrêté royal du 23 février 1828, un brevet d'invention de 15 années pour une nouvelle harpe, et, à la même date, un brevet d'invention de 13 ans pour un piano où je faisais décrire aux cordes des angles opposés au plan de la table.

Il est donc évident qu'en supposant qu'il y ait eût similitude d'invention, j'aurais l'antériorité de huit années.

Je devais à M. Fétis, je me devais à moi-même, de donner des explications positives sur les fait ! ; mais je ne pouvais le faire sans avoir une connaissance parfaite du brevet de M. de La Brillantais, invoqué par M. Pleyel ; je me suis donc rendu à Paris, et mercredi, 21 mai, j'étais au ministère du commerce et avais entre les mains le brevet en question.

Je m'attendais, d'après le titre qui est : d'une nouvelle construcion de pianos, à trouver un plan descriptif présentant un piano de face et de profil; mais je ne trouvai que deux feuilles volantes sur lesquelles on avait tracé des lignes décrivant des courbes et des angles.

Du reste, point d'assemblage de l'instrument; nulle apparence d'une nouvelle construction.

Mon attention se porta sur deux choses qui me paraissaient être l'objet principal de l'invention, à savoir: une

ligne horizontale représentant la table; une perpendiculaire, le chevalet, et enfin, deux droites s'appuyant au sommet de la perpendiculaire, et formant un angle assez élevé jusqu'aux points de rencontre de l'horizontale, que l'auteur appelle points d'attach.

J'entends par là, comme l'auteur, je suppose, le point où la corde est attachée d'un côté, et celui où le aboutit à la cheville de l'autre.

Or, suivant le plan de l'inventeur, il s'ensuivrait que les cordes, décrivant un angle dans toute leur longueur, exerceraient une pression énorme sur la table, et qu'aucun barrage ne pourrait soutenir celle-ci. Quel moyen a donc trouvé l'inventeur pour obvier è cet inconvénient radical ?

Le voici : il attache à son chevalet un fil de fer correspondant au sommet de la perpendiculaire et fixé à une traverse passant au-dessus des cordes, à l'effet d'opposer une résistance à la pres-ion de celles-ci.

Certes, l'idée n'est pas heureuse; car si le fil de fer allège la table, il anéantit en même temps la mobilité du chevalet qui doit communiquer à la table l'impulsion des cordes, d'où résulte la puissance vibratoire de l'instrument.

J'en conclus donc que la sonorité en devait être considérablement atténuée, et que le remède était pire que le mal.

Dans sa description, l'inventeur dit qu'on pourrait mettre de l'autre côté un ch valet semblable pour neutraliser la pression du premier.

Où est cet autre côté ? L'auteur ne le dit pas, mais il faut que ce soit au-dessous de la table. Pour l'exécution de cette ingénieuse idée, je voudrais bien que l'auteur expliquât comment il se serait tiré d'affaire dans le haut de l'instrument.

Le deuxième chevalet décrit dans son prétendu plan est très-large; l'angle est formé dans son épaisseur et décrit un quasi-prisme avec l'horizontale : je défie qu'à l'exécution on puisse tendre les cordes sur un pareil chevalet et qu'on les fasse glisser pour les mettre d'accord.

Je me résume, et je dis qu'il n'y a aucune analogie entre mon piano et cette informe machine. Je ne puis croire que M. Pleyel s'y soit trompé.

Mon invention n'est pas à l'état de projet; elle est réalisée. Tous les hommes compétents qui sont à Bruxelles ont joué ou entendu mon piano; tous ont reconnu l'exactitude des faits mentionnés dans le beau rapport de M. Fétis.

A l'égard de ce que dit M. Pleyel, que mon brevet tomberait dans le domaine public s'il n'était pas exécuté dans le temps voulu, je le prie de croire que je n'en suis pas à mon coup d'essai; que cette invention est la dixseptième pour laquelle j'ai été breveté; que toutes ont porté leurs fruits; qur je connais fort bien la législation des brevets de tous les pays, et que je ne me laisse pas prendre au piège.

Agréez, Monsieur, l'expression de ma parfaite considération,
C. SAX." Revue et gazette musicale de Paris, Volume 18, 1851, p. 197 -
- Voir DE LA BRILLANTAIS MARION Louis Marie

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