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DE GIRARD Philippe
à Paris (°1805)

1844

PARIS - "Exposition des produits de l'Industrie - neuvième article - Pianos. - M. de Girard. Trémolophone et Piano octavié.

M. le chevalier de Girard, dont le nom figure en quatre endroits différents du catalogue de l'Exposition, a offert cette année à la curiosité publique un grand nombre d'objets appartenant à diverses branches de l'industrie, et qui se distinguent par des inventions remarquables, dignes de l'auteur de la célèbre machine à filer le lin.

C'est cette machine, comme on sait, qui fonda la réputation de l’habile mécanicien. Elle eût fait sa fortune sans les événements politiques qui vinrent anéantir ses justes espérances.

On se rappelle que Napoléon avait proposé le prix magnifique d'un million pour celui qui inventerait la meilleure machine à filer le lin, et que M. de Girard résolut peu de temps après le problème.

Mais la chute de l'empire priva l'inventeur de la récompense qu’il avait si bien méritée.

Il se retira en pays étranger, et y continua ses études favorites de mécanique. 'l‘onjours a la recherche de quelque nouveau problème, il se signala par de nombreuses et importantes découvertes, qui pourraient suffire à la réputation de plus d'un inventeur, de plus d'un artiste.

Il n'est pas ici le lieu d'entrer dans le détail à ce sujet et d'énumérer tous les travaux de cet esprit ingénieux et fécond.

Nous nous bornerons aux inventions qui se rattachent a notre spécialité.

Au nombre des objets exposés par M. de Girard, on a remarqué un piano qu’il appelle tremolophone.

Sans nous arrêter a la composition hybride de ce nom, disons d'abord qu'il ne donne qu'une idée insuffisante de l'instrument. Personne n'ignore ce que c'est que le trémolo, et l'on pourrait croire que ce piano n'est destiné qu'a produire cet effet. Mais on se tromperait ; car l'instrument donne plusque le nom ne promet.

L'idée première de l'inventeur a été, il est vrai, d'effectuer le trémolo par un moyen mécanique, en substituant au mouvement rapide et fatigant des doigts l'action d'un mécanisme qui permit aux doigts de rester tranquillement appuyés sur les touches pour produire l'effet en question.

M. de Girard imagina donc un mécanisme à m'aide duquel la percussion des marteaux pût se répéter rapidement; son invention dépassa même la limite qu'il s'était posée; car il obtint une rapidité telle que toute interruption entre les divers chocs des marteaux semble disparaître, et que les notes ainsi produites rendent un son continu, semblable à celui que produit le frottement d'un archet ou l'action du vent.

Ajoutons que chaque note peut être renflée et diminuée à volonté par sa pression plus ou moins forte de la touche, comme nous l'expliquerons plus bas.

Le nom de ce piano devrait donc être : piano expressif à son soutenu au moyen de la percussion rapidement rétirée. Mais où trouver, comment former un mot capable d'embrasser cette longue description ?

L'auteur s'est donc tenu au mot plus simple de trémolophone, et nous lui abandonnons sa composition semi-italienne et semi-grecque.

Ne nous occupons que de l'instrument.

Le piano trémolophone est un piano à queue, de six octaves et demie, et à deux claviers, dont l'un (le supérieur) pour le piano ordinaire, l'autre, pour les effets du mécanisme nouveau.

Voici de quelle manière ce mécanisme est composé : Ies marteaux sont placés au-dessus des cordes, et chacun est porté sur un levier qui s'élève et s'abaisse au moyen des touches du clavier le manche du marteau porte, vers le milieu de sa longueur, un axe d'acier qui est reçu dans un petit support en cuivre, fixé lui-même sur le levier dont nous venons de parler.

La position du marteau, dans l'état de repos, est déterminée par un ressort enfil d'acier qui, dans cet état, maintient la tête aussi près que possible des cordes sans les toucher; d'où il résulte que si, par un moyen quelconque, on soulève le marteau et qu'on l'abandonne ensuite à lui-même, il retombe par son propre poids et par l'action du ressort, et vient frapper la corde avec plus ou moins de force, selon la hauteur à laquelle il a été soulevé.

Pour produire le mouvement des marteaux, l'auteur a placé au-dessus de leurs queues un cylindre armé de rames ou ailettes courbes, lequel tourne avec une vitesse de six a dix tours par seconde, et qui se trouve placé de manière que les ailettes, en tournant, passent très près de la queue des marteaux sans les toucher.

Mais si l'on presse une des touches du clavier, un pilote, qu'elle soutient, soulève au même instant le levier qui porte le marteau appartenant à cette note.

Alors le talon du marteau se trouvant élevé, les ailettes du cylindre ne peuvent plus passer sans choquer ce talon, d'où il résulte que chaque dent qui passe élève la tête du marteau et la laisse retomber, et de la une série (le chocs infinis d'autant plus rapides que le cylindre tourne plus rapidement, et d'autant plus forts que la touche est plus abaissée.

Tout est bien combiné dans ce mécanisme, à l'exception d'une seule partie, qui nous semble réclamer une antélioration importante.

Le cylindre est mis en mouvement par une roue qui, pour être tournée, exige le concours d'une seconde personne. C'est là un grave inconvénient, puisque l'artiste, lorsqu'il est seul, ne peut se servir du clavier trémolophone.

M. de Girard, qui a fait preuve d'habileté dans la solution de problèmes bien autrement compliqués, trouvera sans doute un moyen pour corriger cette imperfection.

On a proposé de faire marcher le cylindre par un mouvement d'horlogerie, comme cela a lieu pour le pianographe, dont nous avons parlé dans un précédent article; mais il nous semble qu'il serait préférable d'employer à cet effet une pédale mise en jeu par l'artiste lui-même; car il est important que celui-ci puisse régler à son fré la vitesse du cylindre pour obtenir tantôt le trémolo, par un mouvement modéré, tantôt le son soutenu, par la plus grande vitesse possible.

Le transition graduée de l'un à l'autre ajoutera même à la variété des effets.

Quant au son produit par le nouveau mécanisme, il a une autre nature particulière qui cesse de ressembler au piano dès qu'il vinet continu, et se rapproche alors de l'orgue ou de certains instruments à vent. On croit entendre le cor, le basson, ou un mélange des deux.

Dans les dessus il y a quelque chose qui tient de la flûte : seulement, dans la dernière octave, où les cordes ont moins de vibration, il est impossible d'obtenir, même par la plus grande vitesse du cylindre, des sons continus; on y reconnaît toujours un certain tremblement. En général c'est dans le milieu et dans la basse que l'instrument fait le plus d'effet.

Nous avons dit plus haut que les sons peuvent se renfler et diminuer a volonté, même pour chaque note séparément, avantage qui manque aux physharirtoiticas, melodiums, harmoniunts et généralement a cette grande famille d'orgues expressives, où, comme on sait, l'expression s'étend sur tout le clavier à la fois ou sur l'ensemble des notes que l'on touche.

L'instrument ayant deux claviers, l'un pour le piano ordinaire, l'autre pour le trémolophone, on conçoit quelle variété l'artiste peut obtenir, soit en jouant alternativement sur l'un des claviers, soit en les combinant ensemble.

Ce n'est pas tout : on peut doubler la puissance de l'instrument au moyen d'une pédale destinée à faire entendre simultanément l'octave inférieure de chaque note. Nous reviendrons plus bas sur ce procédé, à l'occasion d'un autre piano que M. de Girard a présenté au concours.

Le piano trémolophone a été construit par un Allemand nommé Buchholz, établi a Varsovie et réputé pour être un des meilleurs facteurs de cette capitale. Mais, nous devons le dire, cet instrument est loin d'égaler les beaux pianos qui sortent des principales manufactures de Paris.

Le son (nous parlons du son obtenu parle mécanisme ordinaire) manque d'ampleur et de force; il est sec et aigre, et ce défaut se fait doublement sentir dans l'effet simultané des deux claviers.

Nous voudrions entendre le trémolophone appliqué a un des magnifiques pianos à queue récemment établis par M. Pape. Si nous nommons ici de préférence ce célèbre facteur, c'est qu'en construisant un pareil instrument il n'aurait point d'emprunt à faire au piano qui nous occupe; il n'aurait qu'a reprendre une de ces nombreuses inventions qu’il a abandonnée, nous ne savons trop pourquoi.

Nous avons vu chez lui le modèle d'un mécanisme semblable, destiné à effectuer la percussion rapidement réitérée du marteau. M. Pape nous a dit qu'il avait construit sur ce modèle, en 1836, un grand piano qui se trouve actuellement à Londres. Voila comment les idées se rencontrent; car dans cette circonstance il est à présumer que les deux inventeurs n'ont pas connu leur tentative mutuelle.

En général, aujourd'hui que tout le monde se met à la recherche d'innovations, que les découvertes surgissent de tous côtés, il ne faut pas s'étonner de voir des essais semblables entrepris en même temps, ou se suivant à fort peu de distance. Nous en avons un nouvel exemple dans un autre mécanisme récemment inventé pour obtenir des octaves avec un seul doigt, ou en ne frappant qu'une touche.

On a vu à l'imposition le piano Octavié de MM. Boisselot : on se rappelle les détails que nous avons donnés sur les deux systèmes établis par ces habiles facteurs, et qui consistent, l'un dans la multiplicité des cordes, l'autre dans l'emploi de leviers obliques.

On sait que ce dernier système a été appliqué au piano en même temps par M. Pleyel, avec des modifications que nous avons fait connaître. Lorsque nous rendions compte de ces instruments, nous ne savions pas qu'un troisième concurrent se présentât pour cette invention.

Eh, bien! voici M. de Girard qui a imaginé un système analogue, appliqué d'abord a son trémolophone, et ensuite à son piano vertical, dont il nous reste à parler.

Ce dernier n'a pas lignré dans la salle de l’Exposition ; mais il a été présenté au jury du concours. C'est en nous rendant chez M. de Girard. pour examiner le trémolophone, que nous en avons appris l'existence. Ceux de nos lecteurs qui voudraient le voir n'auront qu'a s'adresser à l'inventeur.

Le piano vertical, du reste, n’a rien de remarquable, ni pour la construction, ni pour les qualités sonores. M. de Girard, ne s'occupant point de la fabrication des instruments, a l'a acheté tout fait, afin d'y appliquer son système de leviers pour les octaves.

Ce système, dont le principe est très simple, peut se prêter a de nombreuses modgions; il en exige même quel- ques unes suivant le genre de piano auquel on veut l'adapter.

Ainsi, dans le trémolophone, le levier soulève a son extrémité la touche même de l'octave, tandis que, dans le piano vertical dont nous parlons, il agit sur un second échappement qui fait mouvoir le marteau de cette touche.

M. de Girard, en nous montrant ses deux mécanismes, nous a fait voir en même temps les dessins de plusieurs variantes, applicables a des instruments de diverses formes et qu'il se propose d'essayer plus tard.

En terminant cet article, disons que M. de Girard est complètement étranger a la musique, mais qu'il aime cet art avec passion et qu'il s'est beaucoup occupé de l'amélioration des instruments : aussi les deux inventions dont nous venons d'entretenir nos lecteurs ne sont-elles pas les seules qu'il ait conçues dans sa longue carrière, si utile aux arts mécaniques et a l'industrie en général.

Il y a plus de quarante ans à l'époque où Grenié parvint à établir l'orgue expressif au moyen des anches libres, M. de Girard inventa un procédé ayant pour but de donner l'expression à tous les jeux de l'orgue indistinctement. lîntraîué par d'autres occupations, il ne réalisa pas une idée, sur laquelle nous aurons occasion de revenir, et qu'il ferait bien de reprendre aujourd'hui que l'orgue semble de plus en plus obtenir la faveur du public musical." Revue et gazette musicale de Paris : journal des artistes, des amateurs et ..., 1844, p. 325-326

Trémolophone

PARIS - "M. le Chevalier Philippe de GIRARD, à Paris, rue du Faubourg-Saint-Honoré, 76, - A exposé un piano à queue, dit trèmolophone, et un piano droit dans lequel on peut faire entendre, par le mouvement d'une seule touche, la note et son octave grave. Le mécanisme qui sert à produire cet effet est d'une grande simplicité.

Le jury mentionne honorablement M. le chevalier Philippe de Girard, qui, d'ailleurs, a des droits à une récompense d'un ordre plus élevé pour une autre partie de son exposition." Rapport du Jury central, Paris Jury central, Imprimerie de Fain et Thunot, 1844

PARIS - "[...] Quelques années plus tard, le célèbre mécanicien Philippe de Girard, inventeur des premières mécaniques à filer le lin, construisit en Pologne un piano octaviant, qui fut transporté à Vienne, en 1843, et sur lequel Léopold de Mayer, puis Liszt, jouèrent devant la famille impériale. Cet instrument parut à l'Exposition nationale de 1844, [...]

Le piano octaviant mis à l'Exposition universelle de 1855, par M. Blondel, de Paris (sous le n° 9487), n'est que la reproduction du système de Philippe de Girard.

Des réclamations ont été adressées au Jury par la famille de ce mécanicien; elles étaient accompagnées de toutes les pièces nécessaires pour démontrer la priorité et l'identité d'invention; le Jury, bien qu'il eût résolu de laisser aux voies judiciaires les questions de cettenature, a fait droit à la réclamation, par l'insertion dans ses procès-verbaux de l'exposé du fait." Exposition universelle de 1855, Bonaparte, p. 701

PARIS - "Parmi les inventions qui furent, en 1844, apportées par Philippe de Girard à l'exposition de France figurèrent un piano octaviant et un trémolophone. Cela parait, disait-il, en parlant de ces instruments de musique, assez étrange, qu'un ingénieur s'avise de faire, des excursions dans le domaine des Pleyel et des Erard.

Voici comment j'y fus conduit pendant une de mes tournées d'inspection des grands établisseménts industriels de Pologne, je reçus l'hospitalité chez le directeur d'un haut fourneau dont la fille jouait du piano.

J'eus la fantaisie de faire quelques accords l'instrument était détestable, c'était l'enfance de l'art; je m'amusai à le démonter; les leviers étaient gonflés par l'humidité, j'entrepris de les remplacer par des tiges métalliques, puis d'essais en essais, je fus amené à me proposer de faire produire au piano deux sons à l'octave.

En frappant une seule touche j'arrivai, au moyen d'une série de leviers obliques, à faire mouvoir simultanément le marteau de la touche frappée et celui de son octave, de manière que les deux marteaux frappaient, en méme temps, leurs cordes respectives.

De retour à Varsovie, Philippe de Girard fit construire un piano dans lequel il introduisit les perfectionnements qu'il avait trouvés.

L'accueil que cet instrument reçut dans les salons russes le conduisit à l'exécution du trémolophone, qui obtint à l'exposition de Paris, ainsi que le piano octaviant, un grand succès servi par la brillante exécution de Litz [sic] le célèbre compositeur." Vie et inventions de Philippe de Girard, 1881, p. 139-140 (gallica.bnf.fr)

PARIS - "Les pianos octaviants donnent à volonté l'octave de la note que l'on touche." (Revue britannique, Volume 5, 1880)

PARIS - "Le célèbre mécanicien Philippe de Girard, inventeur des premières mécaniques à filer le lin, construisit en Pologne un piano octaviant, qui fut transporté à Vienne, en 1813, et sur lequel Léopold de Mayer, puis Liszt, jouèrent devant la famille impériale." Exposition universelle de 1855 : Rapports du jury mixte international, Volume 2, Napoléon Joseph Charles Paul Bonaparte

PARIS - "L'Exposition de 1844 vit figurer douze de ses inventions, celles que nous venons de rappeler, et en outre un piano à double octave et un instrument tout à fait nouveau, le trémolophone, qui prolongeait et modifiait à volonté les sons du piano ordinaire, et dont la brillante exécution de Listz faisait valoir le mérite." Économie politique populaire, Baudrillart, Henri (1821-1894), 1876 (gallica.bnf.fr)

PARIS - "Le trémolophone du chevalier Girard a fixe souvent l’atterition des personnes qui ont visité l’exposition, par la nou veauté et la puissance rie ses el'feis.

A l’aide d’une mécanique mise en jeu par un enfant chargé de tourner une petite roue, les notes «lu piano sont répétées en trémolo avec une vitesse à defier les doigts les plus prestes.

La rapidité de la répétition produit presque l’illusion du son soutenu. Ainsi un chant large peut être posé par le piano à l’état de trémolophone et accompagné par les lusses simples du piano ordinaire.

L’effet de trémolophone s’obtient à l’aide d’un second clavier super posé au premier sur un plan plus éloigné, à la manière de l’orgue. Si celte complication n’altère pas la beauté des sons du piano et ne durcit pas trop le clavier, il est évident qu’elle ajoute aux ressources du piano." Gazette nationale ou le Moniteur universel, 26/04/1844, p. 6 (retronews.fr)

Pour les références voyez la page
pianos français 1800 - 1829


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